Les Yeux de Laura
Par Olivier Nicklaus
Vidéaste anglaise courageuse, Laura Waddington met son talent expérimental au service des sujets politiques.
On était parti interviewer Laura Waddington pour la faire parler de son sublime film Cargo, diffusé dans Court-Circuit sur ARTE et on revient complètement sonné par le récit du tournage de son nouveau film à Sangatte. Là-bas, elle a découvert une réalité tellement éloignée du discours publicitaire-securitaire des JT, et de la communication pro-gouvermentale, qu’on tombe des nues quand elle raconte les détails. Mais commençons par Cargo, puisque au fond c’est par là que Laura a atterri à Sangatte.
A l’origine une commande; un travail en vidéo sur un port. Or Laura, vidéaste anglaise née en 1970 et formée a New York dans le giron du cinéma expérimental, a la phobie d’avion. Elle imagine donc de rejoindre son port en cargo. Mais pas n’importe quel cargo: un cargo-container uniquement peuplé d’hommes, des marins Philippins en l’occurrence. Evidemment, on commence par lui dire non. Mais, fidèle a son tempérament, Laura s’obstine malgré les refus et finit par se faire accepter parmi la trentaine d’hommes. Comme toujours, sa caméra lui sert à la fois de bouclier et de fer de lance pour s’incruster là où on ne voudrait surtout pas d’elle.
Elle reconnaît d’ailleurs prendre des risques “Si je fais des films, c’est parce que je cherche quelque chose. Et souvent c’est quand j’ai peur, quand je sens une grande tension que je m’approche de ce que je cherche.” À l’arrivée, Cargo, est rien moins qu’éblouissant. Plastiquement déjà, c’est superbe (images en apesanteur, travail sur la durée, couleurs hallucinantes, ) et surtout, à travers la voix-off, elle rend à ces hommes une humanité et une dignité exemplaires.
Mais l’aventure Waddington ne s’arrête pas là. Depuis longtemps, Laura, qui a fini par s’installer à Paris est sensible au sort des sans-papiers. Sur ce, arrive le 11 septembre. Le lendemain, elle est déjà à Sangatte en train de filmer les Afghans. Dans le camp, elle est en butte à une franche hostilité. Qu’ à cela ne tienne, elle va filmer les sans papiers là où ils sont: sur les routes. Elle est la quand les CRS interviennent. “J’ai vu des scènes d’une violence inouïe, des choses qu’on n’imagine pas. Les gens vivent dans des conditions affreuses – le manque d’hygiène, évidemment-, mais le pire, c’est la violence mentale. Souvent, ils n’ont pas d’autre choix que de devenir fous. On ne voit pas ca a la télé, les reportages ne réussissent pas à refléter l’horreur. Il faut trouver un autre moyen.”
Laura Waddington s’est engagée à trouver ce moyen, quitte à s’obstiner, quitte à s’endetter. Elle sait que son travail, c’est là et maintenant qu’elle doit le faire. Le plus beau dans l’oeuvre et la conversation de la vidéaste ? Sans doute cette façon de tenir le pathos à distance, tout en étant au cœur des sujets les plus urgents de l’époque.
Source
Nicklaus, Olivier. “Les yeux de Laura.” Les Inrockuptibles, no. 394, Paris, June 18, 2003.
(English translation “Laura’s Eyes” also available on Laura Waddington’s website.)
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